Luc Saint-Eloy, artiste antillais, est à Nice pour un ciné-débat autour de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Avant la projection il accepte de répondre aux questions du Patriote Côte d’azur. Rencontre avec un défenseur de la seule «race humaine ».
Pensez-vous que la France soit un pays raciste ?
On ne peut pas dire que le pays est raciste. Bien sûr, il existe en France du racisme. Il faut le combattre par tous les moyens. La difficulté, c’est qu’au nom d’une nation une et indivisible, on a du mal à reconnaître les différentes communautés. Les dispositifs nationaux ne sont pas assez nombreux.
La France refuse-t-elle l’introspection, ou n’est-elle pas encore consciente qu’un travail est nécessaire ?
La France ne veux pas voir ses maux. Et à cause de cela elle prend du retard. Il faut nous écouter car nous sommes porteurs de solutions. Il faut accepter son passé pour mieux vivre et accepter la différence. Nous sommes en train de construire notre mémoire.
Que vous évoque l’anti repentance développée en ce moment par N. Sarkozy ?
La repentance serait valable si les auteurs des crimes étaient toujours vivants. C’est un terme dangereux. Il peut empêcher de reconnaître les pages sombres de notre histoire.
Or, il faut reconnaître. Pourquoi tout à coup ces hommes noirs sont devenus Français, par quel miracle ? Les commémorations ne peuvent que faire du bien. Apprendre ensemble ce qu’il s’est passé pour mieux vivre entre nous et pour que les crimes horribles commis hier ne se renouvellent pas.
En tant qu’Antillais, vous sentez-vous plutôt noir ou plutôt Français ?
On peut être Français et noir, sans avoir à gommer l’un ou l’autre. On ne doit pas chercher à cacher que l’on est noir… c’est impossible.
Une partie des Antillais pensent que nos racines sont africaines. D’autres admettent que nous en avons aussi en Europe. En vrais Créoles, nous avons plusieurs appartenances et nous avons dû nous réinventer une identité. Il faut cultiver sa citoyenneté à travers son appartenance.
Il est réel qu’en France, la communauté noire ne se sent pas chez elle. Parce qu’elle se l’entend dire. Donc oui, il y a exclusion mais parce que la différence est visible. En tous cas les Antillais ont cassé le mythe de la France et ce qu’on pourrait appeler le « grand mensonge républicain » a lui aussi été démantelé.
Les Antillais ont-ils pris conscience plus vite que les métropolitains de ces impératifs de mémoire ?
Je pense que cela va de paire. Quand on est hors de chez soi, c’est là qu’on prend conscience de son identité. Et cela pousse à cultiver encore plus ce que l’on est. Mais on ne peut pas comprendre un Antillais si l’on n’a pas conscience de ce qu’il a vécu historiquement. Nous sommes sortis de très très loin car le système nous a poussé à haïr ce qu’il y avait de noir en nous. Cela a fait de nous des êtres complexés. Quel colonisé n’a jamais rêvé d’être blanc ? Il y encore un travail colossal pour se sentir homme à part entière parce que nous devons nous réconcilier avec nous même. Personne ne nous dit comment faire. C’est épouvantable mais indispensable.
Devoir de mémoire pour le présent et pour l’avenir.
Se souvenir ensemble. Tel était l’enjeu du « ciné-débat » organisé ce 10 mai au Mercury par Sos racisme indépendant.
Un film et un débat animé par Luc Saint-Eloy¹ et Daniel Fimbel², pour commémorer l’abolition de l’esclavage.
Dans « 1802, l’Epopée guadeloupéenne », Christian Lara retrace la révolte des soldats français de Guadeloupe, menés par Delgrès, face aux troupes de Bonaparte, venues rétablir l’esclavage.
Le thème « Minorités visibles et tragédies cachées, fierté française et repentance, les oublis têtus de la mémoires » a suscité les passions.
Le comédien a présenté Delgrès, inconnu pour beaucoup car absent des manuels scolaires : « un très bon soldat français et un humaniste ». Précisant que le message - « vivre libres ou mourir » - des résistants guadeloupéens relevait d’un combat universel pour la liberté.
Très vite le public – une quarantaine de personnes - s’est détaché du film pour s’orienter vers une bataille de mots. « Repentance » a soulevé la polémique : terme trop « moral », « religieux ». Les questions de la réparation et du devoir d’Histoire, ont été abordées. D. Fimbel a insisté sur le premier point. L. Saint-Eloy a rappelé combien la loi Taubira (2001) avait compté dans le processus du souvenir. « Je sais quelles séquelles laisse le passé » exlique-t-il. Bien que « la blessure [ne soit] pas la même pour tout le monde, la mémoire est commune ». L’Histoire de la France est parfois noire, à nous de l’assumer.
¹ commandant Delgrès dans le film
² Ciné-café de Nice